Le renforcement synergique des énergies

Le renforcement synergique des énergies décrit le risque que les énergie dites de substitution (ENS : nucléaire et énergies renouvelables en général) engendrent plus d’émissions de CO2 que la seule exploitation du pétrole, du charbon et du gaz. En effet, les seules sources d’énergie des sociétés thermo-industrielles sont “carbonées”, aucune énergie “non carbonée” n’est une source pour les sociétés thermo-industrielles. Le déploiement des ENS ne garantit pas la substitution des énergies et augmenterait même, de manière contre-intuitive et malheureusement, la dépendance des sociétés thermo-industrielles à leurs seules véritables sources d’énergie.

Le renforcement synergique des énergies
Le renforcement synergique des énergies

Historiquement, les différentes sources d’énergies et énergies auxiliaires exploitées par l’humanité semblent s’additionner strictement. Le déploiement des ENS, exploitant des énergies auxiliaires, est même susceptible d’engendrer un renforcement synergique des énergies, en contribuant à l’optimisation de l’exploitation de l’ensemble des sources d’énergie de l’humanité. La conséquence serait une augmentation globale des émissions de CO2.

La conversion en énergie utile de l’énergie contenue dans le vent, le rayonnement solaire ou dans les atomes ne fait pas des sociétés humaines des systèmes ouverts sur ces énergies auxiliaires, puisqu’aucune d’elles n’est à l’origine de la possibilité de les convertir en énergie utile. C’est l’ouverture des systèmes humains sur leur seule source d’énergie, la matière organique, qui a permis la mise en œuvre des infrastructures de conversion de ces énergies auxiliaires.

Les ENS ne sont pas dotées de la capacité à l’auto-organisation et ne répondent pas aux conditions d’affranchissement de leur dépendance à une authentique source d’énergie. Leur déploiement et la stabilisation de leur fonctionnement sont susceptibles d’exercer de fait une pression sur l’exploitation de la matière organique combustible.

De plus, les sociétés thermo-industrielles, désormais perturbées par de plus grandes difficultés d’approvisionnement en hydrocarbures, sont susceptibles de tenter de se stabiliser à partir de l’énergie auxiliaire fournie par les ENS, sans que la dépendance aux hydrocarbures ne puisse pour autant être révoquée. En contribuant à la résilience des sociétés thermo-industrielles, les ENS favoriseraient une exploitation prolongée et plus importante des hydrocarbures.

Sources
LA CONCURRENCE POUR LES SOURCES D’ÉNERGIE

Lorsque les approvisionnements énergétiques soutiennent une croissance accélérée, les utilisateurs dont les taux de croissance sont plus rapides deviennent trop grands et déplacent les autres. Il est inhérent aux mathématiques du processus de croissance exponentielle que les différences de taux de croissance augmentent. Le concurrent (espèce ou entreprise) avec les meilleures performances de reproduction s’auto-amplifie et l’écart entre les deux stocks augmente. Une prolifération compétitive est souvent montrée dans des expériences de laboratoire si d’autres contrôles sont supprimés (Gause 1934; DeWit 1960). Par exemple, l’une des deux espèces de puces d’eau poussant sur la fig. 3,8 a dépassé l’autre pendant la période où les approvisionnements énergétiques étaient excédentaires.
Texte original :
COMPETITION FOR ENERGY SOURCES

When energy supplies support accelerating growth, users with faster growth rates outgrow and displace others. It is inherent in the mathematics of the exponential growth process that the differences in growth rates increase. The competitor (species or business) with the better reproductive performance is self-amplifying, and the discrepancy between the two stocks increases. Competitive overgrowth often is shown in laboratory experiments if other controls are removed (Gause 1934; DeWit 1960). For example, one of the two species of water fleas growing in fig. 3.8 overgrew the other during the period when energy supplies were in excess.
 

Source :

Odum, Howard T. Environment, Power, and Society for the Twenty-First Century: The Hierarchy of Energy. Columbia University Press, 2007. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/10.7312/odum12886. Accessed 1 Apr. 2023.

Mythes sur la durabilité.

D’autres mythes sont élaborés et vigoureusement propagés par de véritables croyants qui recherchent un monde fonctionnant selon leurs préférences. Les mythes relatifs à la “durabilité” sont aujourd’hui particulièrement populaires, bien que ce terme chargé ait des significations différentes selon les personnes, car il est rarement défini de manière rigoureuse. La liste des sources d’énergie et des techniques de conversion qui doivent fournir notre énergie durable est donc assez longue et inclut désormais, de manière incongrue, même les industries des combustibles fossiles, qui n’ont pas l’intention de quitter la scène qu’elles ont dominée pendant plus d’un siècle simplement parce que la durabilité est de rigueur.

Même les producteurs d’électricité issue de la combustion du charbon affirment aujourd’hui que leur objectif est d’exercer leur activité de manière durable, bien que ce concept ne puisse manifestement pas s’appliquer à la ressource elle-même. Après tout, j’ai entendu un cadre supérieur de l’une des principales sociétés d’extraction de métaux au monde affirmer que son activité était durable. Quoi qu’il en soit, les ingénieurs des centrales électriques insistent désormais sur l’impact environnemental faible, voire pratiquement nul, des nouvelles conversions, et ils travaillent à la commercialisation de centrales électriques au charbon qui séquestrent le carbone et ne produisent donc pas d’émissions de CO2. (Je déconstruirai ce mythe de la séquestration du carbone au chapitre 5.) Plus modestement, divers procédés de gazéification et de liquéfaction du charbon, présentés sous le nom de “charbon propre”, sont présentés comme des candidats imminents à une commercialisation à grande échelle afin de maintenir le rôle important du charbon à l’échelle mondiale.
Texte original :
Sustainability Myths.

Other myths are elaborated and vigorously propagated by true believers who seek a world that runs according to their preferences. Myths involving “sustainability” are now especially popular, although this loaded term means different things to different people, as it is rarely rigorously defined. The list of energy sources and conversion techniques that are to deliver our sustainable energy is therefore rather long and now includes, incongruously, even the fossil fuel industries, which have no intention of vacating the stage they have dominated for more than a century just because sustainability is de rigueur.

Even the producers of electricity generated by coal combustion now claim that their goal is to practice their business in a sustainable fashion, although the concept obviously cannot apply to the resource itself. But I suppose that somebody may yet make a claim regarding the sustainable nature of coal mining; after all, I heard a top executive of one of the world’s leading metal mining companies claim that his business is sustainable. In any case, power plant engineers now stress low, or virtually no, environmental impact of new conversions, and they are working on commercializing coal-fired electricity generating plants that sequester carbon and hence produce no greenhouse CO2 emissions. (I will deconstruct this carbon sequestration myth in chapter 5.) More modestly, various coal gasification and liquefaction processes, captured by the mantra of “clean coal,” are promoted as imminent candidates for large-scale commercialization in order to maintain coal’s large global role.
 

Source :

Vaclav Smil, Energy Myths and Realities: Bringing Science to the Energy Policy Debate, AEI Press, 2016.

Extrait du livre L’Énergie du déni : Avons-nous vraiment l’avenir du climat entre nos mains ? :

Il ne sera pas possible d’interpréter demain la baisse des émissions de CO2 comme le signe d’une transition énergétique réussie. La diminution des hydrocarbures étant inéluctable, nous assisterons sans doute à des concours de réjouissance sur l’efficacité de telle ou telle politique de transition. Cependant, la présence d’ENS dans le mix énergétique, en le rendant plus résilient, est susceptible de ralentir la baisse future des émissions de CO2. Il faut poser l’hypothèse qu’en palliant certains épisodes de crise, les ENS en atténueraient les conséquences économiques. Elles prolongeraient ainsi le fonctionnement de sociétés toujours principalement dépendantes des hydrocarbures, optimisant finalement leur exploitation, en dépit de leur déplétion. Nous aurions augmenté notre empreinte écologique, en ayant été convaincus de la réduire.
 

Source :

Vincent Mignerot, L’Énergie du déni : Avons-nous vraiment l’avenir du climat entre nos mains ?, Rue de l’échiquier, 2021, nouvelle édition 2023.


Extrait de l’article La transition énergétique résiliente :

Il n’existe pas à ce jour de démonstration de faisabilité de la transition énergétique. Le débat sur l’affranchissement des sociétés thermo-industrielles de leur dépendance aux hydrocarbures ne s’articule qu’autour de modèles, de scénarios, d’observations sur des sous-systèmes de l’industrie mondialisée de “production” d’énergie. En 2022, le développement des énergies dites de substitution (ENS : principalement éoliennes, panneaux photovoltaïques et centrales nucléaires) ne freine toujours pas l’exploitation des énergies fossiles. La “symbiose” des énergies reste la norme, plutôt que la substitution. La tentation est grande de simplement déclarer les simulations encore imprécises, les mesures lacunaires et de conserver l’espoir que recherche et progrès finiront par réouvrir le champ des possibles.

Mais le mal semble plus profond. L’hypothèse de la faisabilité d’une transition énergétique n’a jamais été posée. Ou plutôt, si la science a de longue date étudié les limites physiques au développement, en particulier depuis la mise en équation des principes de la thermodynamique, la littérature semble avoir préféré considérer que si des contraintes existaient, ça n’était que pour mieux motiver le génie humain à les dépasser. L’entropie, cette fâcheuse inclination des systèmes physiques à voir leur état naturellement se dégrader, atteindre leur plus grande stabilité en fonction des conditions, ne serait qu’un défi à relever parmi d’autres. Les machines que l’humanité conçoit deviendront, elles, durables.

L’échec est total. L’entropie gagne chacun des combats que le courage, la fierté et sans doute une part d’hubris engagent la science à mener contre la finitude. Les ENS, ces infrastructures de conversion de l’énergie provenant du vent, des rayons du Soleil et des atomes, ne sont toujours pas éternelles. Nous comptons pourtant sur elles pour faire perdurer les avantages, le confort et le superflu que procurent les sociétés thermo-industrielles.
 

Source :

Mignerot, V. (2022). La transition énergétique résiliente. Cités, 92, 57-68.

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