Le climat est plus que la somme des transitions

1/3 Illusion de transition en Australie-Méridionale

2/3 : Une transition sans frontière 
3/3 : Aucune transition, nulle part

Plan de la partie 1/3 :

1 Une transition en Australie-Méridionale ?
2 Une économie carbonée
3 Une transition financée par le carbone
4 Une transition opportuniste
5 Une transition carbonée

L’intitulé du rapport 2023 du programme pour l’environnement de l’ONU est clair : Record battu – Les températures atteignent de nouveaux sommets, mais le monde ne réduit (toujours) pas ses émissions[1]. L’agence internationale de l’énergie confirme quant à elle que les émissions totales de CO₂ liées à l’énergie ont augmenté de 1,1 % en 2023[2]. La transition énergétique peine à faire ses preuves. Les énergies semblent encore s’additionner à l’échelle mondiale, un « renforcement synergique des énergies »[3] serait même à craindre.

Depuis quelques années pourtant, des « dynamiques locales » semblent ne plus suivre le mouvement historique. Des territoires étendus, des pays entiers bénéficieraient de mix énergétiques de moins en moins dépendants des énergies fossiles. Selon de nombreux promoteurs d’une transition au moyen d’énergies dites de substitution (ENS : essentiellement éoliennes, panneaux photovoltaïques et centrales nucléaires), ces dynamiques locales attesteraient que la décarbonation est possible. Il ne s’agirait plus désormais que de prendre les bonnes décisions politiques afin de généraliser les succès en cours[4].

Le constat sur l’évolution passée des systèmes énergétiques, ainsi que l’importance des risques écologiques, économiques et humains pour les ambitions de transition invitent toutefois à la prudence avant de considérer la décarbonation possible, à partir des seules observations sur des sous-systèmes du mix énergétique mondial. La complexité des sociétés humaines, de leur économie et de leurs systèmes industriels rend d’ailleurs incertaine, voire impossible, toute prédiction sur leur évolution future.

Les « systèmes complexes », dont font partie les sociétés humaines, sont « canoniquement définis comme des ensembles intégrés de nom­breux éléments en interaction réciproque, pouvant entraîner des phénomènes dits émergents »[5]. Selon l’expression consacrée, le « tout » de nos sociétés est plus que la somme de ses parties : les propriétés globales, émergentes, de nos sociétés ne sont pas visibles au sein des éléments qui les constituent[6]. L’économie des sociétés humaines peut également être considérée « comme une structure dissipative hors équilibre qui ne peut être maintenue que par un flux d’énergie et de matière »[7].

Faire de la prospective sur l’évolution des sociétés humaines doit alors tenir compte de deux contraintes réputées, en l’état des connaissances, irréductibles : d’une part, la variation du flux d’énergie (et de matière) qui les traverse module leur complexité, d’autre part une connaissance, même très précise, de l’ensemble des sous-systèmes industriels qui les alimente en énergie ne suffira jamais à décrire la totalité de leur système énergétique, encore moins leur devenir.

Les limites de la prospective dans le domaine de l’énergie n’empêche pourtant pas que, demain, des choix politiques et des progrès industriels fassent advenir ce qui ne s’est jusque-là jamais réalisé. Nous verrons toutefois, en appui sur l’étude de la transition énergétique en Australie et Australie-Méridionale, que les dynamiques locales de transition restent à ce jour en interaction de dépendance et de réciprocité avec un système industriel et économique global duquel, jusqu’à présent, aucune ne paraît être affranchie. Nous explorerons également quelles seraient les conditions de validation d’une autonomisation des énergies dites de substitution, qui garantiraient une authentique décarbonation. Nous verrons enfin quels pourraient être les différents biais susceptibles d’entretenir la croyance que les dynamiques locales de transition témoigneraient de la faisabilité d’une transition énergétique.

1  Une transition en Australie-Méridionale ?

L’Australie-Méridionale, État d’Australie d’1,7 millions d’habitants, est fréquemment citée comme exemple de transition énergétique en cours. Le territoire est en effet passé en une vingtaine d’années d’une production[8] d’électricité 100 % fossile à une production à 75 % d’origine renouvelable (essentiellement éolien terrestre et photovoltaïque). Les quelques 25 % de gaz restant sont voués à disparaître, alors qu’une seule connexion avec le reste du continent suffirait à garantir la stabilité de l’approvisionnement en électricité. D’après le gouvernement du pays : « D’ici 2025/2026, l’opérateur australien du marché de l’énergie prévoit que ce chiffre pourrait atteindre environ 85 %. L’Australie-Méridionale aspire à atteindre 100 % d’énergies renouvelables net d’ici 2030. En 2021, l’Australie-Méridionale a répondu à 100 % de sa demande opérationnelle à partir de ressources renouvelables pendant 180 jours (49 %) »[9].

Sur le site de l’AEMC (Australian Energy Market Commission), une infographie animée retrace l’histoire du développement des énergies dites de substitution (ENS) en Australie-Méridionale[10] :

Figure 1 : « Previously, large-scale electricity generation in South Australia was all coal, diesel and gas. More recently, coal-fired power has completely exited the state, and 19 new wind farms and three new solar farms have entered, as well as two utility-scale batteries and two grid-connected emergency back up diesel generators. » Source : South Australia | AEMC

Cette infographie est potentiellement trompeuse : elle donne l’impression que les moyens nécessaires au passage historique d’un mix carboné à un autre moins émetteur de CO2 étaient disponibles sur le territoire de l’État. De plus, les systèmes énergétiques, industriels et économiques actuels sont encore censés se suffire à eux-mêmes. Tentons de compléter la visualisation de cette « dynamique locale », en prenant en compte les différentes connexions énergétiques, industrielles et économiques de l’Australie-Méridionale avec l’Australie dans son ensemble, ainsi qu’avec le reste du monde.

La transition en Australie-Méridionale s’inscrit dans un projet de transition écologique plus global, porté par l’ensemble de l’Australie. Les financements pour cette transition proviennent de la richesse produite par les États australiens, estimée au moyen du produit intérieur brut (PIB). Nous retiendrons, pour encadrer une définition du PIB, la proposition de Jean Latreille, économiste : « le PIB additionne les revenus versés, qui sont, en première approximation, la seule mesure dont on dispose de la production réalisée, biens et services confondus »[11].

L’Australie compte parmi les pays les plus riches, son PIB la situant au 12ème rang mondial en 2022[12]. Les données disponibles indiquent que ce PIB annuel peut être évalué à plus de 1600 milliards de Dollars (Dollars américains), en croissance :

Figure 2 : PIB de l’Australie depuis 1960. Source : Perspective Mond / Banque mondiale

L’État d’Australie-Méridionale, quant à lui, voit son PIB s’élever à plus de 142 milliards de Dollars australiens, soit environ 92 milliards de Dollars américains, également en croissance.

Figure 3 : PIB de l’Australie-Méridionale depuis 2013. Source : CEIC

Forte de sa dynamique économique, l’Australie a engagé l’un des programmes de transition écologique les plus ambitieux au monde. Le site de la CEFC, la « banque verte » du gouvernement en charge du financement de cette transition, précise les montants investis :

« Ayant accès à plus de 30 milliards de Dollars (AUD[13]) du gouvernement australien, nous soutenons la décarbonation à l’échelle de l’économie, depuis le développement des énergies renouvelables et la valorisation du capital naturel jusqu’à l’efficacité énergétique, les carburants alternatifs et les matériaux à faible teneur en carbone. En parallèle, nous nous concentrons sur la transformation de notre réseau énergétique, en soutenant l’habitat durable et en soutenant la croissance des sociétés innovantes en technologies vertes. Reconnaissant l’urgence de la tâche de décarbonation, nous collaborons avec des co-investisseurs, l’industrie et le gouvernement. Nous investissons également avec grande rigueur commerciale, dans le but de générer un rendement positif sur l’ensemble de notre portefeuille »[14].

Selon le dernier rapport de la CEFC, au cours de l’année 2022-2023, près de 2 milliards de Dollars (AUD) sur le total des investissements « verts » ont été alloués spécifiquement à la décarbonation du mix énergétique[15]. Le rapport 2023 de l’Agence internationale de l’énergie (IEA : International Energy Agency) donne des valeurs proches, bien qu’à partir de modalités de calcul et d’évaluations sur des périodes différentes : « Au cours des dix dernières années, la banque verte du gouvernement australien, la CEFC, a investi 11,14 milliards AUD (7,2 milliards USD) dans les énergies renouvelables et les infrastructures énergétiques (en moyenne 1 milliard AUD par an, soit 0,65 milliards USD). Le financement de la CEFC a catalysé un total de 38,65 milliards AUD (25,01 USD) d’investissements dans les énergies propres (CEFC, 2022) en dix ans »[16].

L’IEA précise toutefois que « les programmes de R&D dans le domaine de l’énergie sont restés peu nombreux et leur portée a diminué au cours de la dernière décennie. Le financement public de la recherche, du développement et de la démonstration (RD&D) dans le domaine de l’énergie est resté inférieur à la moyenne de l’AIE de 0,03 %, avec une part de 0,019 % du PIB en 2021. Selon les données de l’AIE, les dépenses publiques en matière de RD&D énergétique pour 2021 s’élevaient à 309 millions de dollars, soit 457 millions AUD. L’accent a été mis sur la commercialisation, la démonstration et le déploiement de technologies clés en matière d’énergies renouvelables et propres, telles que l’énergie solaire, l’énergie éolienne, le stockage d’énergie, l’électrification, l’efficacité énergétique et l’hydrogène à faible coût. (…) Les dépenses publiques totales consacrées aux technologies énergétiques propres entre 2000-01 et 2020-2021 sont estimées à environ 21 milliards AUD (13,65 USD) »[17].

Comparativement aux PIB de l’Australie et de l’Australie-Méridionale, dans un contexte de bonne santé économique, les investissements pour la transition semblent modestes, sans par ailleurs être focalisés sur le développement d’une compétence industrielle interne, davantage sur l’installation d’infrastructures développées et produites à l’étranger.

2  Une économie carbonée

Évaluer le véritable impact écologique de l’évolution du mix énergétique en Australie-Méridionale implique d’estimer l’empreinte environnementale de la production de richesse, ou de valeur, qui a permis cette évolution. Dans le domaine de l’énergie lui-même, l’économie de l‘Australie ne saurait être considérée comme décarbonée. Les données du rapport 2023 de l’agence internationale de l’énergie sont claires :

« Grâce à ses richesses en ressources naturelles, l’Australie est l’un des plus grands exportateurs au monde, notamment de GNL [gaz naturel liquéfié], de charbon et de minéraux. La République populaire de Chine, le Japon, la Corée et les États-Unis sont les plus grands marchés d’exportation de l’Australie.

En 2020, la production d’énergie – principalement du charbon et du gaz naturel – était plus de trois fois supérieure à l’approvisionnent énergétique total du pays. L’Australie est le quatrième producteur mondial de charbon, après la Chine, l’Inde et les États-Unis. En 2020, la production de charbon était 7,6 fois supérieure aux besoins du pays.

Depuis 2015, l’Australie a considérablement augmenté sa production de gaz naturel et ses exportations de GNL. Sa production de gaz naturel était 3,4 fois supérieure à la quantité utilisée au niveau national. L’Australie produit également une quantité importante de pétrole brut, couvrant 47 % de l’approvisionnement intérieur du pays.

L’approvisionnement énergétique total est fortement dominé par les combustibles fossiles, qui représentent 92 % du total en 2021. Le pétrole représente un tiers de l’approvisionnement intérieur du pays, suivi du charbon (32 %) et du gaz naturel (28 %). Le charbon est principalement utilisé dans la production d’électricité, tandis que le pétrole est utilisé principalement dans les transports et représente plus de la moitié de la consommation finale totale. Les transports sont le secteur le plus consommateur d’énergie (39 % en 2020), suivi de l’industrie (38 %) et du bâtiment (23 %) »[18].

Figure 4 : Offre et demande totales d’énergie par source en Australie. Source : Australia 2023 Energy Policy Review, page 19.

Si la tendance reste à la croissance de l’utilisation du charbon et du gaz, elle est à la baisse pour le pétrole, dans un contexte de possible passage d’un « pic pétrolier », tel que l’a envisagé le centre de recherche de l’armée australienne en 2019 :

« La situation pétrolière de l’Australie s’est considérablement détériorée au cours de la dernière décennie. Alors que la production nationale de pétrole a continué de diminuer, la consommation a augmenté (figure 1). L’Australie dépend de plus en plus de l’importation de produits raffinés à base de pétrole et de pétrole brut pour sa capacité de raffinage en déclin. L’Australie ne parvient toujours pas à satisfaire à l’exigence de l’Agence internationale de l’énergie de détenir des réserves de pétrole équivalant à 90 jours d’importations comme tampon contre les perturbations de l’approvisionnement (ne détenant généralement que la moitié de ce montant, les stocks de carburant diesel n’ayant été que de 12 jours d’approvisionnement dans un passé récent) ; s’appuyant plutôt sur une chaîne d’approvisionnement à flux tendu et sur la capacité du marché pétrolier à faire face aux perturbations »[19].

Figure 5 : Production et consommation de pétrole australien. Source : Peak Oil and the Australian Army: An Update

La production de pétrole n’est pour autant pas négligeable en Australie. À titre d’exemple, afin de comparer ce montant avec ceux investis dans la transition écologique australienne : en 2022 les bénéfices de la société pétrolière Santos s’élevaient à près de 8 milliards de Dollars américains[20]. Alors que Santos n’est qu’une des nombreuses entreprises d’extraction de pétrole en Australie[21], et que la production totale du pays ne compte que pour 0,4 % de la production mondiale[22].

Figure 6 : Bilan financier de la société Santos. Source : 2022-Annual-Report.pdf (santos.com)

3  Une transition financée par le carbone

Si les fonds pour la transition écologique et énergétique de l’Australie, gérés par la CEFC, ont pour origine la puissance de son économie globalement carbonée, ceux-ci proviennent également plus directement d’associations d’industriels des énergies fossiles.

« La Chambre des mines et de l’énergie d’Australie-Méridionale [South Australian Chamber of Mines & Energy : SACOME] est la principale association industrielle représentant les sociétés de ressources et d’énergie ayant des intérêts dans le secteur des ressources de l’Australie-Méridionale, y compris les minéraux, l’énergie, les industries extractives et le pétrole »[23].

La SACOME investit dans la transition énergétique, et ne manque pas d’exprimer sa satisfaction quant aux retours sur investissements, sans manquer d’exercer son droit de regard sur leur devenir, manifestement incertain :

« La Chambre des mines et de l’énergie d’Australie-Méridionale (SACOME) a calculé qu’entre 2018 et 2021, l’industrie a engagé plus d’un milliard de dollars en coûts d’intervention sur le marché de l’énergie et de transition.

(…)

SACOME est conscient que le projet EnergyConnect – l’interconnexion entre l’Australie-Méridionale et la Nouvelle-Galles du Sud – vise à résoudre de nombreux problèmes de stabilité du système qui ont entraîné des frais d’intervention sur le marché pour les utilisateurs industriels.

La date d’achèvement de ce projet a récemment été repoussée à juillet 2025, ce qui signifie au moins trois années supplémentaires de coûts d’intervention pour l’industrie, auxquels s’ajoutent les coûts supplémentaires liés à la réingénierie de notre réseau électrique.

Parallèlement à cela, le secteur des ressources a été identifié comme l’un des secteurs économiques clés ayant la capacité de contribuer à la réalisation des objectifs de croissance économique du gouvernement de l’État. La situation continue d’être compliquée par la dissonance entre la politique énergétique et la politique de croissance économique en Australie-Méridionale.

L’industrie ne peut pas se permettre d’assumer 1 milliard de dollars supplémentaires en coûts de transfert d’ici juillet 2025 »[24].

« Les membres de la SACOME ont observé que le coût de la transition énergétique affecte de manière disproportionnée les secteurs difficiles à décarboner et que les récents changements politiques apportés au mécanisme de sauvegarde par le gouvernement du Commonwealth ont amplifié ce phénomène. Pour situer le contexte, la SACOME a reçu des informations de la part de grands clients industriels selon lesquelles les coûts d’intervention sur le marché représentent désormais environ 30 % de leurs factures d’électricité. Cela pose une série de problèmes pour le secteur des ressources et d’autres industries lourdes qui sont confrontées au besoin urgent de décarboner leurs opérations tout en étant chargées d’aider l’État à réaliser ses ambitions de croissance économique »[25].

Nous percevons déjà quelques entremêlements entre l’ambition de transition énergétique en Australie et la réalité économique et industrielle du pays, qui paraît encore structurellement carbonée. La transition serait-elle en mesure, à l’avenir, d’influer positivement sur les émissions de CO2 ? Les liens de dépendance et de réciprocité des différents systèmes internes de ce pays complexe semblent difficiles à démêler.

4  Une transition opportuniste

Le déploiement d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques en Australie, et singulièrement en Australie-Méridionale, est parfois considéré comme la raison de la fermeture anticipée de certaines centrales de production d’électricité à partir de charbon. Bien que la plupart de ces centrales soient reconverties en sites de stockage d’électricité au moyen de batteries[26], il semble prématuré de conclure que la transition énergétique serait la seule justification de ces fermetures et reconversions.

Les exploitants eux-mêmes restent prudents quant aux échéances de fermeture. L’arrêt de la centrale Eraring est encore considéré comme « potentiel » par la société Origin Energy : « Origin travaillera avec son personnel et la communauté locale pour déterminer la planification de transition la plus appropriée en cas d’éventuelle fermeture »[27]. Pour AGL Energy, les dates de fermeture des centrales sont encore lointaines : Loy Yang A d’ici 2035, Bayswater d’ici 2033. Si la centrale de Liddell a bien fermé en avril 2023, la batterie prévue sur le site n’est pas encore en service, il est donc impossible d’estimer la viabilité du projet[28]. Energy Australia, quant à elle, fermera la centrale Yallourn en 2028[29], une centrale qui brûlait un lignite « peu rentable par unité de volume : en comparaison aux autres catégories de charbon, une plus grande quantité de lignite est nécessaire pour produire une même quantité d’énergie »[30].

Au-delà des opérations de communication, il paraît précipité d’affirmer que ces centrales ont été, ou vont être fermées pour des raisons écologiques. Elles auront pu l’être simplement parce qu’elles n’étaient plus rentables et qu’un nouveau marché s’offrait aux investisseurs du secteur. Le déploiement de batteries de stockage d’énergie est d’ailleurs d’autant plus attrayant qu’il est subventionné par l’Agence australienne pour les énergies renouvelables (ARENA), et facilité par des prêts d’investissement verts[31].

De plus, bien que de mauvaise qualité, le lignite qui n’aura pas été brûlé dans ces centrales est susceptible d’être exporté pour l’être ailleurs, dans un contexte d’importante disponibilité de la ressource et de demande soutenue[32] :

Figure 7 : Ressources présumées de charbon et de lignite en Australie à la fin de l’année 2020 (Mt). Source : Coal | Australia’s Energy Commodity Resources 2022 (ga.gov.au)

Enfin, le lignite pourra également être valorisé dans des infrastructures modernisées, dédiées aux hautes technologies, y compris celles liées à la transition énergétique :

« C’est contre-intuitif, mais le lignite (et/ou le charbon bitumineux) a le potentiel de soutenir une industrie florissante des énergies renouvelables en Australie. Le lignite peut être utilisé comme source de chaleur dans la production des panneaux de verre utilisés dans les capteurs solaires. Le lignite peut être utilisé comme agent réducteur dans la production d’acier, utilisé dans les panneaux solaires et les tours d’éoliennes. Le lignite peut être converti en fibres de carbone, utilisées dans les pales d’éoliennes et les composants de transport légers. Le lignite peut être converti en plastiques et en oxyde de graphène, qui peuvent être utilisés pour produire des panneaux solaires flexibles, des électrodes de batterie lithium-ion, des batteries imprimables et des supercondensateurs. Le lignite peut également être converti en hydrogène, qui peut être utilisé dans les piles à combustible et les turbines à hydrogène, puis transformé en une multitude de produits chimiques »[33].

 

Figure 8 : Potentiels pour des industries à faible émission à partir de lignite. Source : ACI | CARBON FUTURES (acinnovation.com.au)

Là encore, il est envisageable que les exploitants du lignite aient évalué que ces nouvelles activités justifiaient de ne plus maintenir en fonctionnement des centrales aux rendements déclinants, au profit d’un usage de cette ressource dans une industrie plus prometteuse. Le bilan carbone global de ce transfert d’usage du lignite reste à évaluer, mais il ne correspond pas, en tout cas, au maintien dans le sol de cette matière première dont la combustion est fortement émettrice.

5  Une transition carbonée

Les fermetures des centrales évoquées précédemment ne remettent pas en question la politique d’exploitation du charbon en Australie. Le groupe Glencore se réjouit ainsi de la prolongation de l’extraction sur le site de Mangoola : « L’approbation de “l’autorisation de développement significatif de l’État” (SSD) 8642 prévoit la poursuite de l’exploitation minière à ciel ouvert immédiatement au nord de notre mine existante à Mangoola Coal Operations. Cela permettra à Glencore d’extraire 52 millions de tonnes de charbon supplémentaires d’ici la fin de 2030 »[34]. Le groupe Whitehaven prévoit quant à lui d’agrandir sa mine de Vickery : « La proposition s’appuie sur une mine déjà approuvée et l’optimise davantage, sur un site qui a déjà fait l’objet d’une exploitation minière intensive et sûre pendant de nombreuses années. La proposition rendra Vickery et ses activités voisines plus efficaces et plus durables à long terme »[35].

Pour l’instant, le modèle économique particulièrement carboné de l’Australie semble rester indexé sur la déclaration du ministre australien des Ressources, Keith Pitt, lors de la Conférence de Glasgow de 2021 sur les changements climatiques : « Nous avons très clairement dit que nous ne fermerons pas nos mines de charbon ni nos centrales à charbon […] nous continuerons d’avoir des marchés pendant des décennies à l’avenir. Et s’ils achètent… nous vendons »[36].

L’inquiétude du rapport Clean Energy Australia de 2022 reste elle aussi d’actualité :

« Cependant, le plan du gouvernement fédéral pour atteindre cet objectif – qui ne prévoyait aucune nouvelle politique, aucune modification des objectifs intermédiaires et une forte dépendance à l’égard de technologies inconnues et de compensations internationales – a soulevé de nombreuses questions sur la sincérité de son engagement.

D’autres doutes quant à l’engagement du gouvernement fédéral en faveur de l’action climatique ont été soulevés tout au long de l’année en raison de son soutien continu à l’industrie des combustibles fossiles. Cela a été particulièrement évident dans la décision du gouvernement d’investir 600 millions de dollars dans la construction d’une nouvelle centrale électrique au gaz en Nouvelle-Galles du Sud. Les changements apportés aux réglementations régissant l’Agence australienne des énergies renouvelables, lui permettant de financer des projets de captage et de stockage du carbone et potentiellement de gaz, ont également été perçus par beaucoup comme une tentative à peine voilée de soutenir le secteur en difficulté »[37].

En résumé, la dynamique locale de décarbonation de l’Australie-Méridionale semble ne pas pouvoir être extraite d’une dynamique moins locale et bien plus carbonée, dont elle dépend encore totalement. La transition énergétique en Australie-Méridionale est un projet australien, et les moyens de ce projet sont fournis par une économie et une industrie qui n’évoluent en aucun cas vers une réduction des émissions de CO2. L’Australie-Méridionale n’est pas un système isolé :

 

Figure 10 : Systèmes de production d’énergie et d’électricité en Australie. Source : Australia 2023 Energy Policy Review, page 112 (modifiée).

Lien vers le deuxième article de la série :

Une transition sans frontière

Lien vers le troisième article :

Aucune transition, nulle part

Notes et référénces

[1] « Record battu – Les températures atteignent de nouveaux sommets, mais le monde ne réduit (toujours) pas ses émissions », ONU, 2023.

[2] « CO₂ Emissions in 2023 », AIE, 2024.

[3] Voir l’hypothèse du renforcement synergique des énergies (V. Mignerot, 2017) & Victor Court, « Synergie entre énergies fossiles et décarbonées, frein à la transition énergétique », Polytechnique insights, 2024.

[4] « François Gemenne : “Les énergies décarbonées sont de plus en plus efficaces et compétitives” », France info, 27 janvier 2024.

[5] Mitchell M., Complexity. A Guided Tour, Oxford University Press, 2009. Depuis Li Vigni, Fabrizio. Histoire et sociologie des sciences de la complexité. Éditions Matériologiques, 2022.

[6] « Il est probable que ceux qui évoquent ce tout supérieur à la somme de ses parties ont en tête des situations où c’est bien l’organisation (ou encore “la richesse en structures”, “la valeur fonctionnelle”, “le contenu en calcul”) qui sert à mesurer la valeur du tout et celle de ses parties. L’idée exprimée par la maxime est souvent fausse ; elle intéresse d’ailleurs parce qu’on la perçoit comme paradoxale, mais il y a des cas où le paradoxe devient vrai quand ce qui mesure la valeur du tout est vraiment lié à une richesse en organisation. Ces cas font l’intérêt de la maxime. »

Jean-Paul Delahaye, « Le tout est-il plus que la somme de ses parties ? » Jean-Paul Delahaye, « Le tout est-il plus que la somme de ses parties ? », Pour la science, 28 juin 2017.

[7] Herbert, Eric & Giraud, Gaël & Louis-Napoleon, Aurelie & Goupil, Christophe. (2023). Macroeconomic dynamics in a finite world based on thermodynamic potential. Scientific Reports. 13. 10.1038/s41598-023-44699-y.

[8] L’énergie ne peut être produite, le terme est utilisé ici par commodité.

[9] « Leading the green economy », www.energymining.sa.gov.au, dernière consultation le 29/02/24.

[10] « South Australia | AEMC », www.aemc.gov.au, dernière consultation le 29/02/24.

[11] Jean Latreille, Le PIB, ou la mesure de notre démesure, L’Harmattan, à paraître.

[12] « PIB ($ US courants) – Australia », La Banque Mondiale, dernière consultation le 29/02/24.

[13] AUD = Dollars australiens ; USD = Dollars américains

[14] « Purpose and values – Clean Energy Finance Corporation » Clean Energy Finance Corporation (CEFC : organisation gouvernementale en charge du financement de la transition vers zéro émission net en Australie d’ici 2050), dernière consultation le 29/02/24. Voir également la page 50 du rapport 2022-2023 « New capital, new ambition » de la CEFC.

[15] « CEFC investment commitments in the 2022–23 year reached $1.9 billion, including 30 new and 20 follow‑on transactions across a range of renewable energy, energy efficiency and low emissions technologies. » Page 16 du rapport 2022-2023 « New capital, new ambition » de la CEFC.

[16] « Australia 2023 Energy Policy Review », IEA, 2023. Pages 91 et 94.

[17] Ibid.

[18] Ibid., page 18.

[19] « Peak Oil and the Australian Army: An Update », researchcentre.army.gov.au, dernière consultation le 29/02/24.

[20] « 2022-Annual-Report », www.santos.com, 2022. Page 2.

[21] « List of Oil and Gas Companies in Australia – Subsea Oil and Gas Directory », www.subsea.org & « Oil companies of Australia », Wikipedia, dernière consultation le 29/02/24.

[22] « Énergie en Australie », Wikipédia & Statistical Review of World Energy, dernière consultation le 29/02/24.

[23] « SOUTH AUSTRALIAN CHAMBER OF MINES & ENERGY » & « Annual Sponsorship – SOUTH AUSTRALIAN CHAMBER OF MINES & ENERGY », www.sacome.org.au, dernière consultation le 29/02/24.

[24]« Energy Transition – SOUTH AUSTRALIAN CHAMBER OF MINES & ENERGY », www.sacome.org.au, dernière consultation le 29/02/24.

[25] « REVISED Energy Transition Road Map V7 », www.sacome.org.au, août 2023. Page 23.

[26] Grégory Plesse, « La plus grande centrale à charbon d’Australie fermera plus tôt que prévu », Les Échos, dernière consultation le 29/02/24.

[27] « Eraring power station », www.originenergy.com, dernière consultation le 29/02/24.  

[28] « Australia’s AGL fast-tracks coal power closure after investor pressure », Reuters & « AGL Energy prend la décision finale d’investissement pour le projet Liddell », www.zonebourse.com, dernière consultation le 29/02/24.

[29] « EnergyAustralia powers ahead with energy transition », www.energyaustralia.com.au, dernière consultation le 29/02/24.

[30] « Lignite ou houille brune: définition, méthodes d’exploitation, chiffres clés », www.connaissancedesenergies.org, dernière consultation le 29/02/24.

[31] « Final Investment Decision reached on the 500 MW Liddell battery project », www.agl.com.au, dernière consultation le 29/02/24.

[32] « Lignite in Australia | The Observatory of Economic Complexity », OEC. « Lignite Market Analysis APAC, Europe, North America, South America, Middle East and Africa – US, China, India, Germany, France – Size and Forecast 2024-2028 », www.technavio.com. « Lignite Global Market Report 2024 », www.thebusinessresearchcompany.com, dernière consultation le 29/02/24.

[33] « CARBON FUTURES », www.acinnovation.com.au, dernière consultation le 29/02/24.

[34] « Mangoola Coal Continued Operations Project », www.glencore.com.au, dernière consultation le 29/02/24.

[35] « Vickery Extension Project », whitehavencoal.com, dernière consultation le 29/02/24.

[36] « Énergie en Australie », Wikipédia & « L’Australie s’engage à vendre du charbon pendant encore “des décennies” », Les Échos, dernière consultation le 29/02/24.

[37] « Clean-energy-australia-report-2022 », assets.cleanenergycouncil.org, 2022. Page 20.

Illustration principale : Carbon Dioxide Emissions Around the World, depuis le site Visualcapitalist.com